Œuvre et technique

Tristesse, mort et banalité emplissent les tableaux de Bernard Buffet. Son trait âpre, d’une précision chirurgicale, et ses couleurs, soit grises soit tranchantes, dérangent. Loin de l’abstraction, Buffet peint une société traumatisée d’après-guerre, et passionne au-delà de la France.  

Une oeuvre marquée par la guerre

Des traits précis et raides

Le langage pictural de Bernard Buffet relève entièrement du graphisme : peinture et dessin se mêlent étroitement dans une œuvre résolument figurative. Econome jusqu’à l’austérité, quasi monochrome, Buffet adopte un système formel, qui lui sera reproché comme étant une façon de s’enfermer dans une « manière ». Ce style qui lui est propre se définit par un réseau de lignes géométriques noires, aiguës, architecturant espace, objet et figure. Ses thèmes immédiats sont la société d’après-guerre, et il se rattache au courant dit « misérabiliste » dont font également partis Hélion, Lorjou ou Gruber. Admirateur de Courbet et de Manet, mais aussi des grands maitres de la Renaissance, Buffet se dédie principalement à des natures mortes, des portraits et des intérieurs clos, toujours dans un espace perspectif scénique articulé par des corps squelettiques, raidis par le trait, étirés en longueur.

La ravaudeuse de filet

La Ravaudeuse de Filets est un thème classique porté par la peinture réaliste, qui n’hésite pas à montrer dans des formats de peinture d’histoire (ici 200 x 308 cm) des scènes de genre et des gens du « petit peuple ». Cependant le traitement de cette ravaudeuse de filets est caractéristique du style de Buffet : silhouette longiligne, traits émaciés, mélancolie profonde du visage aux yeux vides. Le reste du corps est cohérent à cette description avec des doigts fins et crochus, acérés comme les pinces du homard posé au pieds de la ravaudeuse. Les fenêtres ouvertes ne laissent rien passer, rendant l’espace encore plus confiné et fermé sur lui-même. Enfin le filet ressemble à une toile d’araignée aux bords tranchés, entrecroisés et pointus, forme menaçante qui répond au mobilier, pointu et tranchant sur toutes les autres parties du tableau. La Ravaudeuse serait-elle en train de tisser son propre piège ? En tout cas Buffet ne se contente pas d’illustrer mais exprime aussi, par ces formes, un sentiment d’enfermement, d’abandon et de mélancolie profonde.


Peindre, une nécessité

« Depuis 1946, je dois faire à peu près un tableau tous les deux jours. Sans compter, bien entendu, les dessins, les aquarelles, les lithos et les illustrations pour des livres… Je travaille tous les jours, j’ai toujours peint tous les jours… »

— Bernard Buffet, Entretien avec Le Figaro

Ses thèmes les plus connus

Le cirque, ses amis artistes, la ville de Paris, les natures-mortes, le portrait, le paysage… Autant de thématiques qui occupèrent le travail du peintre français inclassable jusqu’à la toute fin du XXe siècle. Mais s’il y a bien une figure, obsédante, omniprésente, qui occupe tout l’espace, c’est bien elle et elle seule : Annabel. Bernard Buffet, amoureux transi, ne se lasse jamais de représenter Annabel. En robe du soir, assise, en T-shirt, en pull noir, de pied, en buste, toujours le portait d’Annabel revient. Et dans tous ces tableaux, ces dessins, ces esquisses, transparaît le sentiment qui transcende tout : l’amour.

Chaque année Bernard Buffet prépare un thème pour exposer à la galerie Garnier. Il y dédie toute une série autour du cirque et des portraits de clowns. Ses clowns sont toujours tristes, le visage défaits, caractéristiques du style pictural de Buffet. Sauf qu’ici le contraste est particulièrement saisissant, notamment avec la représentation du clown, personne constamment en train de rire et de sourire par excellence, et figure en vogue à l’époque. Ces représentations là insistent sur cette mélancolie et illustrent particulièrement bien l’importance de la figuration et de l’expressionnisme chez Buffet. Plus sur ses séries/expositions ->

Fort de ses débuts fulgurants, Bernard Buffet délaisse rapidement les salons puisque son marchand Maurice Garnier lui consacre chaque année une exposition thématique. Après Jeanne d’Arc en 1958, l’artiste consacre le cycle de 1959 aux oiseaux. Abandonnés sous la protection d’une chouette ou, comme ici, livrés à un rapace, des corps féminins à peine conscients sont déposés au milieu de champs, sous des ciels dont les scarifications rappellent les sillons de la terre. Convoquant les mythes de métamorphoses des dieux, Buffet semble proposer ici, à travers l’évocation de Jupiter et Ganymède, une métaphore de la prédation sexuelle dans un format monumental. Si son graphisme acéré n’a rien perdu en angulosité, l’empâtement toujours plus marqué de ses œuvres leur confère un relief inédit. (Source : MAM).

Buffet plus intimement

Bernard Buffet ne se limite pas aux peintures, mais réalise aussi des lithographies, avec un trait direct et précis, notamment pour des illustrations. Il est aussi important de jeter un regard à sa dernière série réalisée avant de se donner la mort, synthèse finale de son style artistique.

Illustration de la Voix humaine

En 1957, Bernard Buffet réalise vingt-huit planches gravées et illustrées pour La Voix humaine, la pièce de théâtre en un acte de Jean Cocteau. Pour les amateurs de théâtre et d’opéra, le texte est célèbre puisque ce monologue au téléphone est le cœur de cette pièce de 1930, mise en musique en 1959 par Francis Poulenc et chantée par la déchirante Denise Duval. Tirée à cent cinquante exemplaires, le fruit de la collaboration graphique Cocteau/Buffet est devenu rapidement une œuvre rare. On y retrouve le trait précis et ferme de Bernard Buffet, les visages similaires et tristes, les corps longilignes.

Son testament, dernière série sur la mort

Lorsque Bernard Buffet met fin à ses jours à Tourtour, vingt-quatre toiles numérotées ayant pour thème «La Mort» sont dans l’atelier, prêtes pour la prochaine exposition. Masculins ou féminins (parfois les deux), ces personnages anachroniques en costumes de la Renaissance ont d’abord été peints vivants, puis Buffet les a peu à peu écorchés de façon à ce qu’apparaisse le squelette, jusqu’à les transformer progressivement en transis. La peinture de Buffet a souvent été qualifiée de « gothique », un gothique médiéval où l’on apprend l’art de bien mourir. En réalité, les squelettes de cette danse macabre, alignés comme des cartes de tarot, sont des personnages bien vivants qui, libérés des convenances, jettent sur le monde un regard sarcastique et jubilatoire. Dans le style impertinent qui caractérise ses dernières années, Buffet nous livre en guise de testament, une synthèse mêlant ses thèmes iconographiques (le bestiaire) et ses procédés de composition (figures verticales, carrelage), son trait brillant (parfois posé au doigt ou directement du tube), son chromatisme raffiné.

Œuvres du mois

Chaque mois, une nouvelle œuvre expliquée, que ce soit un tableau, une lithographie ou une estampe !

  • Les Folles, femmes au salon

    La série Les Folles « Les Folles, femmes au salon » est une huile sur toile réalisée par Bernard Buffet en 1970. Cette œuvre monumentale mesure 200 x 300 cm. Une version plus petite, intitulée « Les Folles – Femmes aux chapeaux », mesurant 97 x 130 cm, a également été peinte la même année. Ces tableaux font partie…

  • Portrait de l’artiste, 1949

    Un (auto)portait son concession Au travers de ce portrait l’essentiel de Bernard Buffet est déjà là. Nous pouvons ressentir une vraie tristesse accompagné de ce besoin de peindre et d’une véritable antipathie pour ce qu’il montre. Les traits écorchés sont symboliques de sa manière de peindre. L’absence de profondeur nous mets frontalement face au portrait…